L’Île Seguin est-elle maudite ?
Beaucoup le pensent après les derniers avatars qu’elle a
subis concernant le projet R4.
Comment expliquer que plus d’un quart de siècle après
l’annonce du départ de Boulogne-Billancourt des activités industrielles de
Renault, on est revenu pratiquement au point de départ s’agissant de
l’aménagement de l’île ?
Pourtant, il n’y a
aucune malédiction. C’est seulement le traitement de cette opération qui
est calamiteux.
Les socialistes
boulonnais avaient défini dès l’origine une stratégie de projet :
- Faire
acquérir les terrains par l’Agence foncière et technique de la région
parisienne, établissement public de l’Etat, qui en aurait payé le prix à
Renault au fur et à mesure de la livraison des parcelles à leurs
aménageurs.
- Maîtresse du foncier, la puissance publique aurait alors imposé son parti d’aménagement et contrôlé les coûts pour que l’opération soit financièrement neutre pour la ville de Boulogne-Billancourt et que l’aménagement respecte les grands paramètres convenus au départ, à savoir 2 m² de logements, dont 1/3 de logements sociaux, pour 1 m² de bureaux, implantation d’espaces verts de qualité sur le Trapèze et sur l’île, financement intégral des équipements publics par les promoteurs immobiliers et transformation de l’île Seguin en île des 3 cultures.
Malheureusement, les maires successifs de
Boulogne-Billancourt ont tourné le dos à cette démarche : ils ont
exigé que l’Etat renonce à l’opération d’intérêt national annoncée par le Premier
Ministre Michel Rocard pour revendiquer la compétence exclusive de
l’aménagement. Ils ont laissé les promoteurs acheter les terrains à Renault. Ils
ont laissé se densifier les bureaux. Enfin, ils se sont acharnés à détruire,
pour l’Ile Seguin ce que leurs prédécesseurs avait conçu.
Le résultat, on le connaît : l’accumulation
de bureaux sur le Trapèze débouche sur l’aggravation de la crise du logement et
sur la constitution d’une bulle spéculative sur les bureaux, menaçant ce
secteur d’effondrement si la conjoncture actuelle persiste. Enfin, l’île Seguin
a connu la disparition des projets phares successifs (fondation Pinault partie
à Venise, université américaine de Paris restée dans la capitale, antenne de la
New York University jamais concrétisée, …)
Triste bilan
-
Les constructions sur le Trapèze seront
terminées en 2017, mais il y a beaucoup de bureaux ne trouvant pas preneur, pas
assez de logements et les équipements publics auront coûté à la Ville la
bagatelle de 180 000 000 euros alors que dans une telle opération, le
coût aurait dû être totalement assumé par les promoteurs immobiliers.
-
Les commerces sont quasi absents dans un vaste
quartier, en raison des prix prohibitifs des loyers exigés par les promoteurs
sans que la Ville ne se soit réservée d’exercer le moindre contrôle.
-
Pour
l’île Seguin, c’est pire :
Les optimistes diront que l’aménagement est
réalisé aux 2/3. A la pointe amont, il y aura la Cité musicale construite par
Bouygues pour le compte du Conseil général et, à la pointe aval, il y aura le
bâtiment culturel R4, entièrement financé par le milliardaire suisse, Yves
Bouvier.
Pourtant, l’optimisme n’est pas de mise :
- Les travaux de la Cité musicale du Conseil
général ont démarré et, malgré le coût faramineux de cet équipement, on peut
penser que l’opération sera menée à bien. Le hic, c’est que la Ville, qui a
acheté l’île Seguin à Renault pour 65 000 000 euros par
l’intermédiaire de la société d’économie mixte (SAEM) dont elle est
actionnaire, a cédé la pointe aval de l’île au Département, soit environ 1/3 de
l’île, pour l’euro symbolique.
- Quant à la pointe aval, malgré les cachotteries
du maire actuel, ce n’est un secret pour personne que le terrain a été vendu à
un prix très faible pour que le maire puisse annoncer urbi et orbi qu’allait
bientôt naître à Boulogne-Billancourt, « l’un des plus beaux musées du monde », même s’il ne s’agit pas
d’un musée.
- Pour le reste de l’île, soit 1/3 environ de sa surface,
c’est le black-out. On ne connaît des intentions du maire que le « projet Nouvel n°2 », qu’il a soumis
à une « votation » des
boulonnais fin 2012 et qui a été approuvé par 7% du corps électoral. Ce projet
est caractérisé par la présence au milieu de l’île d’un « belvédère » de près de 100 mètres
de haut et consacré pour l’essentiel à des bureaux et par l’absence totale de
logements.
- Il est notoire que la SAEM doit rembourser
150 000 000 euros d’emprunt.
- L’environnement juridique de l’opération est, pour le moins, incertain en raison des décisions du tribunal administratif.
Mode d’emploi
- Le maire
de Boulogne-Billancourt doit renoncer à la chimère qui consiste à faire de
l’aménagement de l’île Seguin une variable d’ajustement du budget de la SAEM.
En l’état actuel des choses, et en supposant que le projet R4 ira jusqu’au bout malgré les difficultés judiciaires que connaît son promoteur, il est évident que l’opération d’aménagement des terrains Renault débouchera sur une impasse financière de l’ordre de 100 000 000 euros en tenant compte des dépenses qui resteront à la charge de la SAEM pour l’aménagement de l’île.
En d’autres termes, la logique et la sagesse commandent, dans l’hypothèse où le projet R4 irait jusqu’au bout, de constater la perte finale de l’opération et d’en étaler le coût par un refinancement qui ferait que partageront ce déficit les générations actuelles mais aussi une partie des générations futures. - Il faut
que la municipalité accepte enfin de reconnaître qu’elle s’est fourvoyée dans
la détermination de ses règles d’urbanisme concernant l’île Seguin et
qu’après avoir réexaminé le projet, elle adopte des règles d’urbanisme claires et
juridiquement indiscutables.
- Dès lors que l’on est débarrassés de la chimère
de la recherche de l’équilibre financier introuvable de cette opération, il faut repenser l’aménagement de l’île,
afin qu’elle corresponde aux véritables besoins de la population et aux exigences
des équilibres urbains : il faut des logements résidentiels et sociaux,
des équipements sportifs avec une nouvelle piscine, un grand parc central avec
des équipements légers de loisirs. En revanche, il ne doit pas y avoir de
bureaux, sinon pour les stricts besoins des équipements implantés dans l’île.
- Si le projet R4 ne pouvait aller jusqu’au bout, ce qui serait dommageable, on doit alors se situer dans une perspective différente qui consisterait, dans le respect des principes d’aménagement arrêtés par la Ville, à vendre le foncier à un prix de marché, ce qui pour le coup améliorerait le bilan financier de l’opération sans pouvoir toutefois revenir à l’équilibre en raison de l’importance des charges pesant sur la SAEM.
Tout cela en définitive n’est pas tellement
compliqué et il ne s’agit, pour parvenir à un bon résultat, que de savoir
monter un financement de projet dont les recettes équilibrent les coûts, ce qui
implique seulement d’arrêter une fois pour toutes un projet stable, de
s’assurer que les conditions juridiques de l’opération sont réunies, de
négocier les financements aux meilleurs coûts et de s’assurer de la bonne
exécution des opérations de construction, attribuées par marchés publics aux
promoteurs préalablement mis en concurrence.
Il n’est pas trop tard pour le faire.
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